
À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les institutions de Bretton Woods ont été créées dans un contexte géopolitique particulier, où la majorité des pays africains étaient encore sous domination coloniale.
Les indépendances ne s’étant amorcées qu’à partir du milieu des années 1950 et s’étendant jusqu’en 1975 pour les anciennes colonies portugaises, ces institutions ont vu le jour à une époque où les grandes puissances économiques du monde, en particulier les États-Unis, cherchaient à établir un ordre mondial qui leur soit favorable.
Les États-Unis, étant sortis victorieux de la guerre, ont créé ces institutions, notamment le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque mondiale, afin de gérer et de contrôler les relations économiques mondiales.
L’objectif était de maintenir l’hégémonie économique et géopolitique des États-Unis tout en assurant une régulation des marchés financiers mondiaux, après l’échec du laissez-faire des années 1920-1930, marqué par la crise économique mondiale.Le FMI a été conçu pour contrôler les mouvements de capitaux et les taux de change, tandis que la Banque mondiale avait pour mission de fournir des crédits aux pays, en particulier aux grandes puissances et leurs anciennes colonies, afin de financer des projets d’infrastructure.
Toutefois, dès les premières années d’existence de la Banque mondiale, les crédits étaient largement alloués à des projets d’extraction de matières premières, surtout en Afrique, et à la facilitation de leur exportation vers le marché mondial, plutôt qu’à des projets sociaux comme l’éducation, la santé ou les infrastructures de base. Ce n’est que dans les années 1960, en réponse aux mouvements révolutionnaires et aux aspirations des pays en développement, que la Banque mondiale a commencé à accorder des crédits à des projets liés à l’éducation et à la santé.
Cependant, ce changement était loin de répondre aux besoins fondamentaux des pays africains. En dépit des pressions internationales, la Banque mondiale et le FMI ont persisté dans leur approche, incitant les pays à se développer en empruntant, plutôt que de s’appuyer sur des ressources internes.
Ces institutions ont persuadé les pays africains de s’endetter pour attirer des investissements étrangers, tout en leur déconseillant d’adopter des réformes sociales internes, telles que la taxation des grandes fortunes ou la nationalisation de ressources stratégiques. Ce modèle a entraîné une dépendance croissante à l’égard des créanciers étrangers, tout en encourageant une agriculture axée sur l’exportation, comme le cacao, le café, ou le coton, au détriment de l’autosuffisance alimentaire. Aujourd’hui, les conséquences de ce modèle sont flagrantes.
Les pays africains, qui étaient autrefois autosuffisants en céréales dans les années 1960, se retrouvent désormais vulnérables à des chocs externes, tels que la guerre en Ukraine, qui entraîne une hausse des prix des céréales, aggravant ainsi leur dépendance aux importations. Certains pays comme l’Égypte ou la Tunisie, qui dépendent également des importations de combustibles, se retrouvent également affectés par la hausse des prix du pétrole, exacerbant leur vulnérabilité face aux crises mondiales.
Un autre aspect du bilan de la Banque mondiale et du FMI réside dans leur politique de santé. Au lieu d’encourager le développement d’industries pharmaceutiques locales, ces institutions ont conseillé aux pays en développement de compter sur les grandes entreprises pharmaceutiques des pays du Nord.
Lors de la pandémie de Covid-19, cette politique a conduit à une situation où de nombreux pays africains et d’autres pays en développement se sont retrouvés dépendants des grandes entreprises pharmaceutiques pour la fourniture de vaccins, souvent à des prix exorbitants, bien au-delà de leur coût de production.
L’inefficacité des politiques économiques mises en œuvre en Afrique est manifeste. Bien que le continent soit riche en ressources naturelles et dispose d’une population jeune et dynamique, il demeure l’une des régions les plus pauvres du monde. Environ 40 % de la population vit encore en dessous du seuil de pauvreté (Commission Économique des Nations Unies pour l’Afrique, 2021), et les indicateurs de développement humain (IDH) figurent parmi les plus bas du monde.
Les pays africains continuent de faire face à de nombreux problèmes structurels, allant des déficits infrastructurels aux coupures d’électricité, en passant par une insécurité croissante (Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement, 2023).
Le chômage demeure élevé, particulièrement chez les jeunes (Organisation Internationale des Employeurs, 2024). De plus, selon la Banque africaine de développement (2023), la croissance économique observée ces dernières années n’a pas permis une réduction significative de la pauvreté, en raison d’inégalités persistantes et d’un manque de diversification économique.
L’Afrique subsaharienne, en particulier, continue de souffrir de défis considérables dans des domaines cruciaux tels que la santé, l’éducation et les infrastructures de base, perpétuant ainsi un cercle vicieux de sous-développement et de dépendance aux financements extérieurs.
Cette situation est largement imputable à l’influence persistante des institutions financières internationales, qui continuent d’imposer des réformes structurelles, souvent sous forme d’ajustements économiques, aux pays africains. Ces réformes comprennent des mesures comme l’austérité budgétaire, la privatisation des entreprises publiques, la libéralisation des marchés et la réduction des dépenses sociales.
Ces politiques ont souvent aggravé les inégalités économiques et sociales, accentué la dépendance des pays vis-à-vis de l’aide internationale et entravé le développement de structures économiques solides. Au lieu de favoriser une croissance inclusive et durable, les politiques imposées par le FMI et la Banque mondiale ont conduit à une stagnation économique dans de nombreux pays africains.
Prenons l’exemple du Nigéria, l’une des plus grandes économies africaines, qui, malgré les réformes recommandées par ces institutions, connaît une croissance inégale et une pauvreté persistante. Les réformes économiques mises en place ont également négligé les secteurs essentiels du développement humain, tels que l’éducation et la santé.
D’autres pays comme la Zambie, le Ghana et le Sénégal ont connu des résultats similaires, où les politiques dictées par le FMI et la Banque mondiale n’ont pas permis de répondre aux besoins réels de leurs populations. Pour qu’un véritable projet de développement prenne forme en Afrique, il est essentiel que les pays se libèrent de l’emprise de ces institutions.
Le véritable changement ne peut émerger que si les pays africains adoptent des politiques fondées sur la souveraineté économique, l’indépendance monétaire et l’autodétermination. Une politique monétaire souveraine, par exemple, peut être un levier puissant pour permettre aux pays de stimuler la croissance économique tout en réduisant leur dépendance aux marchés financiers mondiaux.
La Chine, par exemple, dans ses premières décennies de croissance rapide, a adopté une politique monétaire expansive, permettant à l’État de diriger les investissements vers des secteurs stratégiques tout en soutenant la demande intérieure. Cette approche a permis à la Chine de se libérer de la dépendance aux marchés financiers mondiaux, tout en améliorant le niveau de vie de sa population et en réduisant la pauvreté.
D’autres pays asiatiques, comme la Corée du Sud, Singapour, Taïwan et Hong Kong, ont également démontré que des stratégies économiques alternatives à celles du FMI et de la Banque mondiale peuvent conduire à une croissance économique rapide et inclusive. Ces pays ont investi massivement dans leurs infrastructures, dans l’éducation, et dans des secteurs industriels stratégiques, positionnant leurs économies parmi les plus dynamiques du monde en moins de trois décennies.
En Amérique latine, l’ALBA (Alliance Bolivarienne pour les Amériques), qui regroupe plusieurs pays comme le Venezuela, la Bolivie, et l’Équateur, a également proposé une alternative au modèle néolibéral imposé par les institutions financières internationales. Ces pays ont adopté des politiques économiques qui ont permis de mieux orienter leurs ressources vers le développement interne, en renforçant leur souveraineté énergétique et en contrôlant mieux leurs ressources naturelles. Le modèle de l’ALBA montre qu’il est possible de refuser les diktats des institutions internationales tout en poursuivant des objectifs de développement social et économique. Les pays africains doivent impérativement s’inspirer des modèles alternatifs de développement et se libérer des politiques économiques dictées par les institutions de Bretton Woods.
Le continent regorge de ressources naturelles abondantes et dispose d’un capital humain jeune et dynamique. Il est crucial pour les nations africaines de diversifier leurs sources de croissance en mettant l’accent sur des secteurs stratégiques tels que les infrastructures, l’énergie renouvelable et l’agriculture durable, tout en investissant massivement dans l’éducation et la santé. Une gestion plus équitable des ressources naturelles, couplée à une politique monétaire souveraine, pourrait permettre à l’Afrique de rompre avec sa dépendance économique et de tracer son propre chemin vers un développement autonome.
En conclusion, pour que l’Afrique puisse véritablement s’émanciper des institutions de Bretton Woods et sortir du cycle de la dépendance, il est impératif que ses États réorientent leurs politiques économiques en faveur de la souveraineté monétaire, de l’indépendance financière et d’une gestion autonome des ressources naturelles.
Seule cette approche permettra d’assurer un développement durable et inclusif, de réduire la pauvreté et d’ouvrir la voie à une prospérité économique partagée sur l’ensemble du continent.
Modou NDIAYE Économiste-Chercheur
Laisser un commentaire