
Plaidoyer pour la suppression de l’ENA au Sénégal : Vers une transformation systémique de l’administration publique
Introduction : Un impératif de transformation structurelle
L’École Nationale d’Administration (ENA) du Sénégal a longtemps été perçue comme un instrument clé de formation des hauts fonctionnaires. Cependant, face aux mutations économiques, sociales et technologiques, le modèle sur lequel repose cette institution apparaît de plus en plus obsolète. Au-delà d’une simple réforme administrative, la suppression de l’ENA doit être envisagée comme une opportunité de transformation profonde du système de gouvernance publique, visant à renforcer l’efficacité de l’État, la transparence et la participation citoyenne.
Ce plaidoyer propose une réflexion systémique sur la nécessité d’une refonte du modèle de formation et de recrutement des cadres administratifs pour aligner l’action publique sur les exigences du XXIe siècle.
- Une école symbole d’un modèle administratif en crise
Un système centralisé et hiérarchique inadapté aux défis actuels
L’ENA repose sur un modèle centralisé de gouvernance qui privilégie une administration verticale, fondée sur des principes bureaucratiques hérités de la colonisation. Or, dans un contexte marqué par la décentralisation et la nécessité d’une administration plus agile, ce modèle apparaît comme un frein à l’innovation et à la réactivité des services publics.
Loin d’être un simple problème d’efficacité, cette rigidité structurelle empêche l’émergence d’une administration proactive, capable d’anticiper les transformations économiques et de répondre aux attentes des citoyens en matière de services publics de qualité.
Un élitisme qui perpétue les inégalités et limite la diversité des talents
Le concours d’entrée à l’ENA privilégie les parcours académiques classiques, souvent au détriment des compétences pratiques et du leadership transformationnel. Ce mode de sélection exclut une grande partie des talents issus du secteur privé, de la société civile et des collectivités locales, alors que ces acteurs jouent un rôle clé dans le développement.
L’administration publique ne peut plus se permettre d’être une forteresse fermée, où seuls quelques privilégiés accèdent aux postes décisionnels. La suppression de l’ENA doit être envisagée comme un levier pour démocratiser l’accès aux responsabilités publiques et favoriser une administration inclusive, en phase avec les réalités du terrain. - Une opportunité pour une transformation systémique de l’État
Repenser la gouvernance publique pour une administration plus agile et participative
La suppression de l’ENA ne doit pas être un simple ajustement institutionnel, mais un point de départ pour une refonte globale de la gouvernance publique. Cette transformation repose sur plusieurs axes :
L’ouverture du recrutement administratif à des profils diversifiés, en valorisant les compétences issues du secteur privé, du monde associatif et des collectivités territoriales.
L’instauration d’une culture de la performance et de l’innovation, avec des mécanismes d’évaluation continue des politiques publiques.
Le renforcement de la participation citoyenne dans la gestion publique, en impliquant davantage la société civile dans l’élaboration et le suivi des politiques publiques.
L’intégration du numérique et de l’intelligence artificielle dans l’administration
L’un des grands défis de l’État sénégalais est la digitalisation de ses services. Aujourd’hui, une administration moderne ne peut plus fonctionner avec des logiques purement bureaucratiques. La suppression de l’ENA doit permettre d’accélérer la transition vers une administration numérique, en intégrant :
Des formations en gestion de données et en intelligence artificielle pour les fonctionnaires, afin d’optimiser la prise de décision et la gestion des ressources publiques.
L’adoption de plateformes numériques pour la gestion administrative, réduisant ainsi la lourdeur bureaucratique et améliorant l’efficacité des services publics. - Un nouveau modèle de formation et de professionnalisation des administrateurs publics
Une formation modulaire et évolutive pour accompagner le changement
Au lieu d’une formation rigide dispensée dans un cadre fermé, il est nécessaire de mettre en place un modèle de formation continue et modulaire, qui s’adapte aux évolutions des politiques publiques et aux besoins des citoyens. Ce modèle reposerait sur :
Des écoles spécialisées en gouvernance, finance publique, innovation sociale et administration territoriale, favorisant une approche plus pragmatique de la gestion publique.
Des cycles de formation tout au long de la carrière des fonctionnaires, permettant d’actualiser les compétences en fonction des mutations économiques et technologiques.
L’intégration des compétences en leadership transformationnel, pour former des administrateurs capables d’accompagner les réformes et d’impulser des changements structurels dans l’administration.
Un recrutement fondé sur la compétence et l’expérience terrain
Plutôt qu’un concours unique basé sur des critères académiques rigides, il est crucial d’instaurer un recrutement fondé sur la méritocratie et l’expérience terrain. Cela pourrait inclure :
Des concours ouverts aux professionnels du secteur privé et de la société civile, permettant de diversifier les profils des hauts fonctionnaires.
Un système d’évaluation des cadres sur la base des résultats et de l’impact de leurs actions, instaurant une véritable culture de la performance dans la gestion publique.
Des passerelles entre l’administration publique et le secteur privé, facilitant la circulation des compétences et favorisant une dynamique d’innovation dans l’État. - Vers une administration ancrée dans les réalités locales et internationales
Une adaptation aux enjeux de la décentralisation et du développement territorial
L’État centralisé montre aujourd’hui ses limites. La suppression de l’ENA doit s’accompagner d’une transformation en profondeur des modes de gestion territoriale. Il s’agit de :
Renforcer les capacités des collectivités locales en leur offrant des formations adaptées, pour qu’elles deviennent de véritables acteurs du développement.
Doter les administrations locales de ressources humaines qualifiées, capables de piloter des politiques publiques en lien avec les spécificités des territoires.
Favoriser la coopération entre l’État et les collectivités, en instaurant un dialogue permanent pour co-construire des politiques adaptées aux besoins locaux.
Un arrimage aux standards internationaux de gestion publique
Le Sénégal doit s’inspirer des meilleures pratiques internationales en matière de gouvernance et de gestion publique. La transformation du système administratif passe par :
Un alignement des formations sur les standards internationaux, avec des collaborations renforcées avec des institutions comme l’OCDE ou l’Union Africaine.
Une intégration des principes de transparence et de bonne gouvernance, en mettant en place des mécanismes de contrôle indépendants et participatifs.
Une coopération accrue avec les écoles de formation internationales, permettant aux fonctionnaires d’acquérir des compétences adaptées aux défis globaux. Un changement radical pour un État plus performant et inclusif
La suppression de l’ENA ne doit pas être perçue comme une mesure isolée, mais comme un catalyseur de transformation systémique de l’administration publique sénégalaise. En remplaçant un modèle élitiste et rigide par un système plus ouvert, flexible et axé sur la performance, le Sénégal peut bâtir une gouvernance publique plus efficace, proche des citoyens et capable de relever les défis du XXIe siècle.
Cette réforme, loin d’être une simple restructuration, est une opportunité historique d’impulser une nouvelle dynamique dans l’administration, fondée sur l’innovation, la transparence et l’inclusion. Elle marque le passage d’un État bureaucratique à un État stratège, capable de porter une vision de transformation durable au service du développement national.
Proposition Affinée pour l’École Supérieure de Gouvernance et d’Administration Publique (ESGAP) du Sénégal
Pourquoi une ESGAP ?
L’École Nationale d’Administration (ENA) du Sénégal, bien qu’ayant joué un rôle crucial dans la formation des élites administratives du pays, doit évoluer pour s’adapter aux nouvelles exigences de gouvernance, de transformation digitale et d’efficacité des politiques publiques.
Nous proposons de la remplacer par une École Supérieure de Gouvernance et d’Administration Publique (ESGAP), qui sera un pôle d’excellence en gouvernance publique, en leadership administratif et en innovation institutionnelle.
L’ESGAP ne doit pas se contenter de former des gestionnaires de l’État ; elle doit produire des leaders publics stratèges, capables de concevoir et de mettre en œuvre des réformes impactantes pour le développement du Sénégal.
- Vision et Missions de l’ESGAP
1.1. Vision : Une administration performante et agile au service des citoyens
L’ESGAP doit devenir un hub de gouvernance publique qui prépare les cadres à une administration plus efficace, transparente, inclusive et tournée vers l’innovation.
1.2. Missions fondamentales
Former une nouvelle génération de hauts fonctionnaires capables de piloter des réformes structurelles et d’améliorer l’efficacité des politiques publiques.
Développer une culture de l’innovation et de l’adaptabilité dans l’administration, en intégrant les technologies numériques et les approches agiles.
Renforcer la gouvernance participative et inclusive, en intégrant des modules sur la co-construction des politiques publiques avec les citoyens, les entreprises et la société civile.
Promouvoir la coopération régionale et internationale, pour faire du Sénégal un acteur clé des réformes administratives en Afrique. - Une Architecture Académique Innovante
L’ESGAP ne doit pas être une simple école d’administration, mais un centre d’expertise et d’expérimentation en gouvernance publique.
2.1. Trois pôles d’excellence - Pôle Gouvernance et Politiques Publiques
Leadership et management public
Évaluation et impact des politiques publiques
Gouvernance locale et décentralisation
Droit public et réforme de l’État - Pôle Innovation et Transformation Numérique
E-administration et digitalisation des services publics
Intelligence artificielle et gestion des données publiques
Cyber-sécurité et protection des données administratives
Smart cities et urbanisme intelligent - Pôle Développement Durable et Finances Publiques
Gestion des finances publiques et lutte contre la corruption
Transition écologique et politiques publiques durables
Partenariats public-privé et financement du développement
Économie circulaire et innovation sociale
2.2. Des parcours flexibles et professionnalisants
Un tronc commun renforcé sur les fondamentaux de la gouvernance et du management public.
Des spécialisations modulaires, permettant aux élèves de personnaliser leur formation en fonction des défis administratifs contemporains.
Des parcours en alternance avec l’administration, pour assurer une mise en pratique continue des enseignements.
Un diplôme d’expertise en gouvernance publique, ouvert aux professionnels du secteur privé souhaitant intégrer l’administration publique. - Un Recrutement Réformé et Inclusif
3.1. Recrutement basé sur le mérite et l’adaptabilité
Un concours modernisé, intégrant des épreuves d’analyse de politiques publiques, des tests psychotechniques et des mises en situation réelles.
Un recrutement élargi, permettant à des profils diversifiés (ingénieurs, économistes, sociologues, informaticiens, etc.) d’accéder à la fonction publique.
Un dispositif d’égalité des chances, avec des prépas gratuites pour les jeunes des zones défavorisées.
3.2. Formation continue et passerelles avec le secteur privé
Un programme de formation continue pour les hauts fonctionnaires en poste, afin d’assurer un perfectionnement régulier.
Un Executive Master en Gouvernance et Management Public, ouvert aux cadres du secteur privé souhaitant intégrer l’administration.
Des passerelles public-privé, favorisant la circulation des talents entre administration, entreprises et ONG. - Une Pédagogie Interactive et Expérimentale
L’ESGAP doit être un laboratoire d’idées et d’expérimentation, où les élèves ne se contentent pas d’apprendre, mais créent des solutions innovantes pour l’État.
4.1. Une formation par l’action et l’expérimentation
Des cas pratiques inspirés de l’administration sénégalaise, pour immerger les élèves dans les défis concrets de la gouvernance.
Des hackathons et des défis d’innovation publique, où les élèves proposeront des solutions digitales pour améliorer les services administratifs.
Des immersions dans des administrations étrangères, pour favoriser les échanges de bonnes pratiques.
4.2. Une gouvernance participative de l’école
Un conseil d’administration intégrant des représentants de l’État, du secteur privé et de la société civile, pour garantir une formation alignée sur les besoins du pays.
Un observatoire de l’impact des diplômés, pour suivre leur contribution aux réformes administratives et ajuster le programme en conséquence. - Un Modèle Économique et Institutionnel Durable
L’ESGAP doit être financièrement viable et stratégiquement positionnée pour être un acteur clé de la transformation administrative du Sénégal.
5.1. Diversification des sources de financement
Un financement public renforcé, mais optimisé par une gestion rigoureuse des ressources.
Des partenariats internationaux, avec des écoles similaires en Afrique, en Europe et en Asie.
Un pôle de consulting et de recherche appliquée, proposant des services aux administrations publiques et aux collectivités territoriales.
5.2. Positionnement stratégique et rayonnement international
Faire de l’ESGAP un centre de formation panafricain, accueillant des hauts fonctionnaires de la CEDEAO et d’autres États africains.
Développer une marque forte, en intégrant les classements internationaux des écoles de gouvernance publique.
Créer une revue scientifique sur la gouvernance publique, pour diffuser les meilleures pratiques et contribuer au débat intellectuel.
: L’ESGAP, un levier de transformation de l’État sénégalais
La création de l’ESGAP constitue une refonte profonde du modèle de formation des élites administratives. Elle doit permettre au Sénégal de se doter d’une administration plus agile, plus transparente et plus efficace, capable de répondre aux défis du XXIe siècle.
En misant sur l’innovation, l’expérimentation et l’ouverture internationale, l’ESGAP pourrait devenir un modèle d’excellence en Afrique, en formant des leaders publics compétents, visionnaires et engagés pour le développement du pays.
Alioune Ndiaye
Expert en développement international
Écrivain
Militant de la Transformation Nationale
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